Tout savoir sur l’IBP : l’indice de biodiversité qui révèle la forêt

L’indice de biodiversité potentielle (IBP) est un outil qui gagne du terrain chez les gestionnaires et les passionnés de la forêt. L’un de ses deux concepteurs, Laurent Larrieu, est venu former les acteurs et actrices qui l’appliqueront dans les forêts en libre évolution du Parc national. Portrait d’un indice aux multiples atouts.
La biodiversité est à la fois un objectif majeur et un indicateur précieux pour les pratiques forestières dans le Parc national. Alors, lorsqu’un indice est créé pour rendre ces pratiques plus favorables à la biodiversité et plus faciles à mettre en œuvre, on tend forcément l’oreille. Surtout quand cet indice est déjà une référence internationale.
Au Parc national de l’Entre-Sambre-et-Meuse, la caractérisation et le suivi de nos 1800 ha de réserves biologiques intégrales (RBI) s’appuiera notamment sur l’IBP (lire ici). C’est pourquoi, en cette belle matinée de septembre, des agent.es forestiers, naturalistes et chercheur.es s’attroupent devant les bâtiments des Cercles des Naturalistes de Belgique, à Viroinval, pour suivre une formation organisée par Ecofirst pour le Parc national. La formation porte sur la mise en œuvre de cet outil d’évaluation et de décision et est donnée par l’un des plus éminents spécialistes de l’IBP. Laurent Larrieu, chercheur à l’INRAE*, les emmènera sur le terrain pour des exercices pratiques. Mais avant cela, il nous brosse un portrait de l’IBP et retrace son histoire…
Une vocation : « Faire entrer la biodiversité dans la routine des forestiers »
Laurent Larrieu définit d’abord l’IBP comme « un outil pratique pour évaluer le potentiel d’accueil des peuplements forestiers pour la biodiversité ». Le mot « pratique » est à prendre au sens fort : « il s’agit de faire entrer la prise en compte de la biodiversité dans les routines des gestionnaires forestiers ». L’enjeu est posé.
Après 4 années de test et 15 ans d’amélioration continue, l’outil s’installe dans le monde de la gestion forestière, mais aussi chez d’autres usagers et passionnés de la forêt. Il prend aussi une dimension plus internationale. Une version dédiée au Benelux vient d’être finalisée et sera mise en pratique chez nous, en Entre-Sambre-et-Meuse. « L’indice est enseigné depuis plusieurs années à Gembloux, mais le Parc national ESEM constitue la première mise en œuvre systématique et à grande échelle de l’IBP en Benelux », souligne M. Larrieu. Un jalon important donc, tant pour le Parc national que pour le déploiement de l’outil.
Pas besoin de connaissances taxonomiques poussées
L’IBP est centré sur les peuplements forestiers, « tout simplement parce qu’il s’agit de l’unité de gestion forestière principale », explique L. Larrieu. Les espèces ciblées par l’indice sont des espèces communes des écosystèmes forestiers : « le but est que chaque forestier puisse utiliser l’indice, même sans connaissances poussées en taxonomie … » L’efficacité pratique, toujours !
Sous le capot de l’IBP : 10 critères aisément applicables. Sept d’entre eux sont directement liés aux pratiques forestières : nombre d’essences indigènes, structure verticale (strates), présence de gros bois mort debout, présence de gros bois mort au sol, densité d’arbres-habitats et de très gros arbres, caractéristiques d’ouverture du milieu. À cela s’ajoutent trois critères qui ne sont pas, ou moins, liés à la gestion actuelle : continuité temporelle de l’état boisé, présence de milieux aquatiques, présence de milieux rocheux.
Un score de 0 à 50 et des seuils d’efficacité
Pour l’évaluation aussi, la simplicité prime. « Les 10 critères sont appliqués avec le même poids et chacun d’eux se déploie sur une échelle de 0 à 5. » En clair : un peuplement présente un score de 0 à 50 pts (0 à 35 pour les aspects liés à la gestion).
Les critères et les seuils de notation ont été définis pour chaque facteur en fonction de leur pertinence pratique. Exemple : « pour entrer en ligne de compte, le bois mort doit présenter une section minimum d’environ 40 cm », détaille L. Larrieu, « tout simplement parce qu’on a constaté empiriquement que la biodiversité associée au gros bois mort, qui fait particulièrement défaut dans les forêts exploitées, est différente de celle associée aux bois morts de dimension inférieure ». Ces seuils ont une grande importance pratique : « si le seuil d’efficacité se situé à 8 arbres-habitats par hectare, passer de 1 à 2 arbres-habitats/ha représente un effort de gestion qui restera statistiquement sans effet », assène le spécialiste. Notons que les seuils de dimension des arbres et bois morts pris en compte varient selon les conditions de croissance et les essences, pour prendre en compte l’impossibilité des arbres à les atteindre, par exemple dans un environnement de très faible fertilité (tourbière…).
Une corrélation robuste avec la biodiversité réelle
Un autre atout de l’indice IBP est qu’il s’appuie sur de longues années de tests de terrain, mais aussi sur une vaste littérature scientifique, touchant à un large éventail de milieux forestiers. « On observe une corrélation positive et significative entre IBP et biodiversité réelle, dans la plupart des types de peuplement et pour de nombreux groupes d’espèces. » C’est particulièrement le cas pour certains groupes comme les oiseaux, les champignons et les papillons nocturnes.
Les facteurs les plus décisifs pour les groupes taxonomiques étudiés sont la présence d’ouvertures du milieu favorisant la floraison de la strate herbacée, d’arbres-habitats (arbres porteurs de dendromicrohabitats), ou encore le nombre de strates végétales. La présence de bois mort est également décisive, car elle impacte les espèces saproxyliques (qui dépendent du bois en décomposition pour une partie au moins de leur cycle de vie) dans divers groupes. Or, celles-ci représentent 25 à 30% de la biodiversité forestière !
L’IBP est un « objet frontière » rassembleur
En sociologie, l’IBP a pu être défini comme un « objet frontière ». En effet, l’indice évolue au croisement de différentes disciplines. Il est aussi au centre de multiples négociations, réunissant des acteurs aux préoccupations multiples. Entre enjeux commerciaux, écologiques et pédagogiques, l’IBP intéresse gestionnaires, propriétaires, pouvoirs publics, chercheurs, naturalistes, éco-pédagogues… Comme la forêt, il érige une tour de Babel !
Cette polyvalence explique en bonne partie le succès de l’outil. « Dès le départ, l’IBP est issu d’un travail de cocréation qui a réuni des acteurs de terrain et des scientifiques », rappelle L. Larrieu. Cette polyvalence se vérifie aujourd’hui auprès du grand public, notamment à travers un jeu pédagogique et une plateforme digitale interactive.
Un avenir prometteur (et international)
Implémenté ou en cours de développement dans 17 pays, depuis le Liban jusqu’au Canada, l’IBP est intégré dans les labels bas carbone français et catalan, ainsi que dans l’indice de naturalité du WWF (Rossi M, Vallauri D, 2013). Il est aussi proposé aux gestionnaires dans le cadre de la certification FSC.
Enfin, des expériences de prédiction de l’IBP par télédétection (LIDAR) se sont révélées très prometteuses. « À l’avenir, la télédétection permettra de mieux cibler les zones à fort potentiel d’accueil et servira à orienter le travail de terrain nécessaire pour le caractériser finement », indique L. Larrieu.
Un indice dont on vous reparlera, sans aucun doute…
Dr Laurent Larrieu
*Le Dr Laurent Larrieu est agent du CNPF (Centre National de la Propriété Forestière) et chercheur à l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) au laboratoire d’écologie du paysage DYNAFOR.
